La Cour des Mimosas

Un tourbier entra par la porte latérale chargé d’une montagne de coussins en velours rouge et de bougies décoratives. Malgré l’instabilité de sa cargaison, rien ne lui échappa et en un rien de temps tous les objets trouvèrent leur juste place sous l’œil vigilant d’Armïnde. Elle promena son regard autour d’elle visiblement concentrée.
« N’oubliez pas d’arroser les plantes tropicales dans le jardin d’hiver, je viens de les rempoter. Et remettez un peu d’ordre dans la bibliothèque avant de vous retirer, pour le moment on dirait qu’un ouragan vient de passer. »
Le tourbier émit un petit son étrange, hocha à peine la tête et disparut en trottinant pour exécuter les ordres de sa maîtresse. Armïnde, debout dans le hall d’entrée posa ses mains sur les hanches et s’étira en faisant craquer sa colonne vertébrale. La journée avait été longue et éprouvante, la semaine aussi, les derniers mois à vrai dire mais maintenant c’était terminé. Evidemment, il restait toujours un ou deux bricoles à ranger, le bac à fleurs à revoir dans sa chambre, la cave à nettoyer de ses toiles d’araignées, une crédence à installer dans la cuisine… et les vendanges bien sûr à terminer. Cela étant dit, le plus gros des travaux venait enfin d’être achevé après toutes ces années.

Un timide sourire illumina son visage creusé par la fatigue. Ce n’était plus comme avant, certes. La grande porte principale, brûlée par les volutes toxiques avait été remplacée par une majestueuse voûte kerlari qu’elle avait pu faire venir par bateau depuis l’Île des braises. La plupart des terrasses ainsi que les piscines en vieille pierre elfique trop poreuse pour avoir pu supporter le feu et l’acide des assaillants venaient d’être reconstruites en utilisant les briques sombres des ruines du bois du Crépuscule avoisinant et l’entrée croulaient sous une quantité impressionnante de haches, d’arbalètes et de lances mais c’était malgré tout de nouveau sa maison. Un endroit où elle se sentait en sécurité.

Pourtant cela n’avait pas été facile car les signes de l’horrible attaque qui avait eu lieu il y a plus de vingt-cinq ans étaient encore partout présents. Ainsi, les saisons nechangeraient plus jamais au domaine comme si le temps lui-même s’était figé. Ça serait pour toujours cet automne fatidique qui avait vu disparaître le monde tel qu’Armïnde le connaissait depuis toujours. De même, les sols avaient été contaminés et modifiés en profondeur. Il avait fallu d’innombrables tentatives plus souvent couronnées d’échecs que de succès pour que sa mère et maître Tidas réussissent enfin à les purifier suffisamment de sorte qu’aucun signe extérieur ne trahisse les terribles changements que la terre avait subis. Le verdict final était d’ailleurs encore en suspens - la première récolte venait d’être effectuée et le premier vin nouveau étaient attendu d’ici quelques jours. Ce ne serait qu’à ce moment-là qu’ils oseraient célébrer cette petite victoire.

Une autre conséquence peut-être encore moins attendue de l’attaque que les précédentes fut le refus catégorique de sa mère d’embaucher de nouveaux serviteurs. En effet, dans l’attaque elle avait perdu son mari et ses filles mais aussi tous ceux qui depuis des années voire depuis des générations venaient en aide à la famille, y compris les jeunes garçons et filles envoyés en apprentissage par leurs nobles alliés. Une perte terrible pour laquelle Lornae se sentait responsable. Sur l’insistance de ses filles, un compromis avait finalement été trouvé et depuis une petite armée de tourbiers sévissait dans la maison. Effectivement, c’était une race bien à part, étrange à plusieurs égards, bavarde mais efficace à la tâche pour peu qu’on les traite avec bienveillance et surtout, ils avaient l’heureuse habitude de survivre à tout, peu importe la nature de la catastrophe qui leur tombait dessus.